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André et  Guy Boniface, une fratrie dans la famille du XV de France

« Avec son frère André, Guy Boniface forme un duo inséparable et une paire de centre romantique du XV de France des années 1960. La passion de l'aîné, croisé du jeu de ligne, idéaliste intransigeant épris d'absolu et le tempérament fantasque du second, dévoreur de vie et prince de la nuit, se croisent harmonieusement. Sur l'échiquier international, les "Boni" furent tantôt les fous, tantôt les rois, toujours les cavaliers. » [1] L'hommage est signé Olivier Margot, journaliste à l'Equipe, à l'occasion du centenaire du XV de France dans le Tournoi en 2010. Les Boniface, c'est une fratrie jouant au sein même de la famille que constitue l'équipe ; c'est une complicité totale sur et en-dehors du terrain, ciselée depuis les cavalcades enfantines dans les rues de Montfort-en-Chalosse jusque dans les plus grands stades du monde entier ; c'est un formidable éventail de passes croisées, redoublées, sautées, réalisées les yeux fermés par une paire de centres unie par le sang et par la vision commune d'un jeu d'attaque et de mouvements dans l'insouciance du rugby amateur et passionné d'un autre temps.   

André, l'aîné, est né en août 1934 dans les Landes, à Montfort-en-Chalosse. On lui promet très tôt une grande carrière. C'est à la fois un attaquant racé, au port altier et à la course élégante, et un athlète complet. Son idole de jeunesse est le centre bayonnais Jean Dauger, aux côtés de qui il jouera un match amical avec Dax en 1952, à 17 ans. Alors même que le jeune André fait preuve d'une dextérité peu commune ballon en main – résultat de l'interdiction d'utiliser le jeu au pied dans sa jeunesse pour ne pas abîmer le ballon – « Manech » lui inculque le rôle fondamental du passeur. André Boniface portera le numéro 12 et sera le créateur par excellence. Il commence sa carrière internationale à 19 ans par une victoire contre l'Irlande dans le Tournoi 1954. La même année, il est de l'équipe de France qui bat les All Blacks pour la première fois de son histoire à Colombes.

Guy, son cadet de trois ans, le rejoint au Stade Montois en 1957. Confidence d'André : « Guy faisait des progrès énormes. Nous partagions le même idéal de jeu. Notre complémentarité, chacun avec ses moyens, se rapprochait de cette perfection qui, pour moi, était un culte, pour ne pas dire le sens de ma vie sportive. Ce dont nous étions capable pendant les quatre-vingts minutes d'un match était l'aboutissement d'un entraînement sérieux et appliqué. Nous y exprimions tout le bonheur de pratiquer ensemble. Nous étions côte à côte - le numéro 12, le numéro 13 -, rien ne pouvait nous séparer. Guy était parvenu à ma hauteur pour me rejoindre. Pour moi c'était comme un miracle, le miracle de l'amour fraternel. » [2] Ensemble, ils règnent sur le championnat de France et le Challenge du Manoir jusqu'à décrocher le bouclier de Brennus en 1963 contre Dax. Guy est un joueur teigneux, qui adore se mesurer aux plus grands que soi, et qui va devenir un redoutable finisseur au poste de deuxième centre. Mais de la même façon qu'André se défend d'avoir préféré le jeu à la gagne, Guy malgré ses qualités n'a de cesse de vouloir créer, à l'instar de son aîné.  

Dans une interview du 5 décembre 1965, les deux frères analysent leur association. André : « Je pense que lorsque nous rentrons sur le terrain nous avons tous les deux le même état d’esprit. Et ensuite, physiquement, chacun a sa manière. Et je crois que la manière de l’un et de l’autre se complète beaucoup. A nous deux, nous arrivons à faire un très bon, un trois-quarts centre assez valable. » Guy est au soutien : « C'est mon aîné et d'abord j’ai beaucoup d’admiration pour lui, pour son jeu, pour l’amour qu’il a mis dans le rugby, toute cette volonté car il a lutté pendant dix ans contre beaucoup d’attaquants qui ne voulaient plus attaquer. Et je crois que cela a été le seul trois-quarts centre à le vouloir jouer au rugby. Et moi, comme j’étais le petit, j’ai suivi. » Tout simplement. Et André de conclure : « Et tout notre rugby dans un match est basé là-dessus, donner les meilleures balles possibles à ces ailiers qui sont en principe les finisseurs de l’équipe. Évidemment il nous arrive de marquer des points, en particulier Guy qui est un finisseur dans son jeu, mais je peux vous assurer que le plus grand plaisir que nous puissions avoir, c’est de donner une très bonne balle d’essai à nos camarades, à n’importe lequel. »

Guy débute avec le XV de France en 1960. Mais les sélectionneurs rechignent à associer les frères Boniface en bleu. Leur première sélection commune a lieu en 1961, à l'occasion d'une tournée en Nouvelle-Zélande qui tourne au massacre en raison la défection de nombreux avants français. Malgré une carrière internationale étalée sur 13 saisons, un record, et riche de 48 sélections, contre 35 pour Guy, les Boni ne seront associés au centre de l'attaque tricolore qu'une quinzaine de fois. Antoine Blondin est peut-être celui qui a le mieux écrit sur les frères Boniface, en un temps où sport et littérature pouvaient encore se confondre dans l'épopée sportive :

« Lorsque l'esprit du jeu s'identifie par surcroît à l'esprit de famille, on s'aperçoit que ce jeu est d'abord une manière d'être. L'association de ces deux frères semble relever de la mythologie. La touchante affection qui les unit en fait des jumeaux à la ville, leur complicité en fait des siamois sur le terrain. André, l'aîné, a la beauté un peu boudeuse des pâtres grecs. Le buste droit, son regard à facettes sous un front bouclé ne cesse d'ausculter la partie qu'il anime à une allure de statue brusquement surmultipliée. Mais cherche-t-il son frère, il le trouve. Guy, les chaussettes sur les talons, la mèche sur le front, a les charmes d'un faune qui terroriserait les défenses adverses sur un air de flûte de Pan. […] Il fallut un concours de circonstances de dernière heure pour qu'une ultime chance fût offerte aux Boniface de s'affirmer ensemble en équipe de France contre le Pays de Galles en 1965. Aussi, quand Guy marqua son premier essai sur un ballon adressé par André, le frisson des justes moralités agita-t-il les gradins. On sut qu'aux immenses accents de l'hymne à la joie, entonnée par toute l'équipe, se mêlait la musique intime des revanches personnelles et des injures oubliées. Sous l'éclairage allègre dont elles ont fait leur loi, deux vies dévouées au rugby trouvaient leur consécration. » [3]

Ce France-Pays de Galles du 27 mars 1965 est un sommet de jeu. Un autre match contre le Pays de Galles, en 1966, et une défaite dont ils seront tenus pour responsable, sonnera le terme de leur aventure en équipe de France. Deux ans plus tard, le jour de l'an 1968, Guy trouve la mort dans un accident de voiture sur une route des Landes. Terrassé, André renonce au rugby. Quelques mois plus tard, le XV de France décroche son premier Grand Chelem dans le Tournoi.    

[1] MARGOT Olivier, L'Equipehttp://www.lequipe.fr/Rugby/Actualites/De-boni-a-boni/89124.

[2] BONIFACE André, Nous étions si heureux..., La Table Ronde, Paris, 2006.  

[3] BLONDIN Antoine, Ma vie entre les lignes, La Table Ronde, Paris, 1982.

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