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France-Brésil, quart de finale de la coupe du monde 1986

"C'est la coupe du monde du contre, mais du beau contre, dans la maîtrise technique individuelle, la vista, l'intelligence du jeu." Sur Antenne 2, Roger Piantoni est au micro aux côtés de Michel Drucker. Au mythique Guadalajara, ce France-Brésil est encore aujourd'hui considéré comme le plus beau match de l'histoire des bleus : une attaque flamboyante des deux côtés, des occasions à la pelle (54 tirs !), et une maîtrise technique irréprochable, le tout dans une atmosphère festive portée par les 65 000 spectateurs acquis à la cause des voisins brésiliens. Le gardien des bleus Joël Bats se souvient : "Je me rappelle du bruit, de la musique, avec de la samba dans les tribunes. Il y avait une atmosphère de fête et ce match-là était une fête. D'ailleurs, dans l'esprit de beaucoup de personnes, cette rencontre était une finale avant la lettre". [1]

A l'époque, le Brésil et ses trois étoiles fait figure de référence. La sélection de Tele Santana allie l'expérience de Zico et Socrates avec la nouvelle vague symbolisée par Careca auteur 4 buts et 3 passes décisives en 4 matches. L'équipe pratique le fameux "football-samba" à une touche de balle et n'a encore encaissé aucun but dans la compétition. Pour les bleus, il s'agit de la dernière campagne de Michel Platini. Le meneur de la Juventus, triple ballon d'or en titre, fête ses 31 ans à l'occasion de ce quart de finale. "Le distributeur, le patron, le chef-d'orchestre" selon Roger Piantoni conduit l'équipe victorieuse de l'euro 1984 et qui sort d'un huitièmes de finale maîtrisé de bout en bout contre les champions du monde italiens (2-0). Pour Bats, "cette compétition était l'ultime chance pour deux générations de gagner la coupe du monde : Zico, Socrates...côté brésilien, Platini, Giresse, Rocheteau...chez nous." [1]

Le sélectionneur Henri Michel opère quelques changements dans son onze de départ. Devant Bats, la défense du début de mondial Amoros, Battiston, Bossis, Tusseau, voit ce dernier changer de poste avec Luis Fernandez et intégrer le "carré magique" avec Tigana, Giresse et Platini. Devant, Yannick Stopyra, buteur contre les italiens, a définitivement pris la place de Papin aux côtés de l'incontournable Dominique Rocheteau. Malgré ces ajustements, les premières minutes sont exclusivement brésiliennes. Le "docteur" Socrates règne sur le milieu de terrain et lance ses deux buteurs Muller et Careca qui butent tour à tour sur un Joël Bats inspiré. Le jeu brésilien est élégant, fluide et rapide, et la domination des auriverde est récompensée dès le quart d'heure de jeu dans une action collective de toute beauté. Après une série de une-deux avec Muller, Junior décale parfaitement Careca qui en première intention ajuste Bats d'un tir imparable sous la barre. 

Les bleus réagissent difficilement, reviennent à leur défense initiale et Amoros passé côté droit amène le danger par ses montées incisives. Mais les meilleures occasions sont brésiliennes, comme cette percée de Careca côté gauche qui prend Bossis de vitesse et centre en retrait pour Muller qui frappe sur le poteau. Les bleus reviennent de loin, et les débats s'équilibrent. Toujours volontaires et portés vers l'avant, les français vont revenir au score juste avant la mi-temps. Après un bon jeu en triangle Amoros-Giresse-Rocheteau, ce dernier centre fort vers les buts brésiliens. Le gardien Carlos s'empale sur Stopyra qui arrivait lancé et le ballon revient sur Platini au deuxième poteau qui n'a plus qu'à marquer dans le but vide.

La deuxième mi-temps est une série de box to box successifs où les frappes s'enchaînent sur les deux buts à l'issue de traversées du terrain spectaculaires techniquement. Alain Giresse affirme : "Dans ce match, je ne vois que du jeu. La balle ne sort jamais. Il y a une forme de plénitude, de bonheur total". [2] Les tentatives se multiplient et le match s'emballe. La défense brésilienne renvoie mal un ballon récupéré par Tigana qui, après le relais de Rocheteau, se présente seul face à Carlos. Mais le gardien est vite sorti et contre à bout portant le tir du bordelais. Sur l'action suivante, Bats doit s'employer sur une frappe puissante plein centre, avant de voir une tête de Careca s'écraser sur sa barre transversale !

A un quart d'heure de la fin le public réclame de plus en plus l'entrée de Zico, "le Pelé blanc". Le numéro 10 rentre sous les acclamations, et sur son premier ballon envoie Branco au but d'une ouverture lumineuse. Bats sort désespérément et fauche le latéral dans la surface. Penalty. Les brésiliens se jettent dans les bras de Branco et se congratulent, ils sont en demi-finale ! Mais Bats plonge bien et stoppe la frappe de l'idole Zico. Le gardien raconte que les médias brésiliens lui diront plus tard qu'il a alors "brisé la légende de zico. D'ailleurs, tous les joueurs brésiliens que j'ai côtoyé, Leonardo, Ricardo, Valdo, Caçapa, Juninho...m'en ont parlé. Sonny [Anderson] me dit souvent que j'ai fait pleurer le brésil et que j'ai brisé un mythe !" [1]

 

A partir de là, tout devient fou. "Cardiaques s'abstenir" gémit Michel Drucker. Les actions individuelles et les occasions de but d'un côté puis de l'autre s'enchaînent : en l'espace de cinq minutes, Bossis perce et voit son tir en bout de course être repoussé par Carlos, puis c'est Amoros qui frappe au ras du poteau, avant que la réplique brésilienne se fasse par Zico puis Careca qui seul face à Bats est repris au dernier moment et ne peut armer son tir.

 

 "C'est probablement le plus beau match du mondial jusqu'à maintenant !" s'exclame Drucker. Après les actions, les joueurs doivent relancer en marchant pour que tous les acteurs puissent se replacer et reprendre leur souffle. Le match s'emballe une nouvelle fois dans les cinq dernières minutes. Sur un centre de Josimar, Zico reprend de la tête presque à bout portant et oblige Bats à un arrêt réflexe du bout du bras sur sa ligne. Une minute plus tard, Bossis est seul dans la surface brésilienne. Le défenseur attend la sortie de Carlos et centre en retrait pour Rocheteau qui n'a plus qu'à conclure mais qui ne parvient pas à reprendre en bout de course. Dans le temps additionnel un centre brésilien lobe toute la défense et Junior seul au deuxième poteau ne cadre pas sa reprise. Place aux prolongations.

Les 22 acteurs ne s'arrêtent pas et le jeu offensif se poursuit. Rocheteau part du rond central, slalome et élimine 4 défenseurs avant de rentrer dans la surface et de voir son tir contré au dernier moment. Stopyra reprend et se fait contrer une nouvelle fois. Socrates réplique avaec une bonne tête sur laquelle Bats s'impose. "L'espoir change toujours de camp, souffle Drucker. Il est dommage qu'il faille donner un vainqueur à ce match, car les deux équipes auraient mérité de continuer". La deuxième mi-temps des prolongations se poursuit sur le même rythme malgré des joueurs "ivres de fatigue" de part et d'autre. Eleamo perd son duel face à un Bats des grands jours. Peu avant la fin, Platini lance Bellone qui a remplacé Rocheteau d'une magnifique passe en profondeur dans le dos de toute la défense brésilienne. Bellone tente le dribble seul face à Carlos mais se fait accrocher à l'entrée de la surface par le gardien. Bellone refuse de tomber sur cette charge irrégulière et veut poursuivre mais se fait prendre le ballon. En retard et alors que les bleus réclament une faute, l'arbitre considère que l'avantage français a été joué. Alors que Platini conteste auprès de l'arbitre, les brésiliens relancent vite dans l'incompréhension totale. La contre-attaque est foudroyante et Careca parvient à centrer côté droit. Isolé au deuxième poteau, Socrates n'a plus qu'à crucifier Bats mais manque le ballon. Tirs aux buts.

Pour la deuxième fois de suite en coupe du monde, la France va jouer son destin en phase finale aux tirs aux buts. Les cinq tireurs de chaque équipe tentent de se concentrer dans la chaleur étouffante de Guadalajara. Bats, auteur d'un énorme match, plonge du bon côté et stoppe la tentative de Socrates d'une main tendue. Stopyra marque ensuite en force au centre. Alemao égalise au ras du poteau, 1-1. Sifflé par tout un stade, Amoros, redonne l'avantage aux beus 2-1. En échec en cours de matche, Zico ne tremble pas cette fois-ci et ramène les deux équipes à égalité. C'est au tour de Bellone de frapper. Son tir heurte le poteau, rebondit sur le dos de Carlos et rentre dans les buts. Validé. Branco égalise ensuite à 3-3. Platini, qui joue sous infiltration depuis le début du mondial, fait exulter tout le stade en frappant au-dessus. Mais juste après, Julio César frappe sur le poteau. 3-3, Luis Fernandez a l'occasion d'emmener les bleus en demi-finale. Le joueur du PSG ne tremble pas et son tir prend Carlos à contre-pied. 4 tirs aux buts à 3, les bleus éliminent le grand Brésil et font chavirer la France de bonheur.

Exceptionnellement, le match sera rediffusé le lendemain. Drucker ne peut que conseiller de l'enregistrer : "Si vous avez des magnétoscopes ne perdez pas cette cassette, vous pourrez la voir et la revoir pendant des années, c'est un des grands moments, un des grands sommets du football". Pourquoi le plus beau match de l'histoire des bleus ? Tout d'abord parce qu'à l'issue de ce match à suspense, le résultat est là : ce ne sont plus les perdants magnifiques de Séville et la France atteint une troisième demi-finale de coupe du monde après 1958 et 1982. Mais ce qu'on retient surtout, c'est l'extraordinaire qualité de jeu de cette rencontre. Pour Giresse, "ce match est resté gravé dans les mémoires, plus que certaines finales, car les deux équipes allaient de l'avant, ne calculaient pas et jouaient pour offrir du spectacle."

[1] BATS Joël, Eurosport, http://www.eurosport.fr/football/summer-friendlies/2010/bats-briseur-de-mythe_sto2656610/story.shtml.

[2] GIRESSE Alain, France Football, hors-série d'avril 2014, Coupe du Monde Une histoire de Ffrance.  

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