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Les Springboks de 1995 restent pour l'Histoire ceux de Nelson Mandela, du capitaine François Pienaar, les vainqueurs de la coupe du monde et ceux de la réunification d'un pays et de ses habitants, bref une histoire magnifique sublimée par le film Invictus de Clint Eastwood. "Un événement exceptionnel par sa dimension humaine, mais aussi par le lieu, l'Afrique du Sud, et le moment où la Coupe du Monde a eu lieu, c'est-à-dire la fin de l'ère amateur et l'entrée du rugby dans l'univers professionnel" pour Saint-André, le capitaine tricolore. Toute histoire comporte cependant sa part d'ombre, et pour beaucoup la demi-finale France-Afrique du Sud de 1995 reste surtout comme le match que les Boks ne devaient pas perdre et ne pouvaient pas perdre.

France-Afrique du Sud, demi-finale de la coupe du monde 1995

Cette coupe du monde est le premier grand événement international organisé sur le sol sud-africain depuis la fin de l'apartheid. L'entraîneur des bleus l'époque, Pierre Berbizier, confie : "Cette équipe, en 1994-1995, avait trouvé son style dans la dimension collective. Chacun se fondait dans le groupe tout en exprimant sa différence." [1] Et quels joueurs ! Sella, Lacroix, Ntamack, Saint-André, Sadourny, Benazzi, Cabannes, Merle, Roumat, Califano... Une équipe de légendes sortie victorieuse d'une série de tests en Afrique du Sud en 1993, puis en Nouvelle-Zélande un an plus tard avec le fameux "essai du bout du monde" lors du deuxième match qui parachève l'ampleur du succès obtenu une semaine plus tôt à Chistchurch (22-8). Le groupe se prépare maintenant pour la 3e coupe du monde. Après une défaite à Nantes contre l'Argentine en 1992, le sélectionneur Pierre Berbizier donne rendez-vous à ses joueurs "à Johannesburg le 24 juin 1995" pour la finale.

Les français sont partis plus tôt que les autres équipes, et s'installent à la prison de Baviaansport où ils s'entraînent quinze jours, crânes rasés, dans des oppositions contre les gardiens. Benazzi : "De véritables boucheries. C'était iréel..." [2]

Les premiers matchs sont laborieux malgré l'ampleur des scores : 38-10 contre les Tonga, 54-18 face à la Côte d'Ivoire, et surtout une victoire inespérée 22-19 contre l'Ecosse arrachée au bout du temps additionnel qui permet aux bleus d'éviter en quarts de finale la Nouvelle-Zélande et son attaque de feu, avec une moyenne de 74 points par match en phase de poule. Rendez-vous est pris le 17 juin avec l'Afrique du Sud, après une victoire contre l'Irlande en quarts. Les bleus sont cependant confiants avec le meilleur réalisateur de la compétition, Lacroix, le recordman mondial de sélections Philippe Sella, des finisseurs de la trempe de Saint-André et Ntamack sur les ailes et dvant l'un des meilleurs pack du mondial, emmené par Benazzi et Cabannes.

Tout est donc en place pour gagner le droit de disputer une seconde finale mondiale après 1987. Cependant ce jour là des pluies diluviennes tombent sur Durban. C'est le déluge, la mousson et le terrain devient une immense rizière. Le coup d'envoi est reporté deux fois, pendant que les volontaires tentent de repousser l'eau du terrain avec de simples balais. Dérisoire. Or, après une bagarre générale en phase de poule contre le Canada et les expulsions de deux de ses joueurs, l'Afrique du Sud est sous la mencae de l'exclusion : si un de ses futurs matchs ne peut se jouer ou se termine par un résultat nul, les Springboks seront déclarés battus. Si le match est annulé, la France se retrouverait donc en finale. Mais une heure et demie après l'heure prévue, décision est prise de jouer.

Après 26 minutes et un essai de Krüger, les bleus sont menés 10-0. Toujours dans des conditions dantesques et contre le vent, les bleus s'accrochent et deux pénalités de Lacroix leur permettent de ne rentrer au vestiaire qu'avec 4 points de retard, 10-6. Les conditions de jeu deviennent iréelles en seconde période, et dans cette "nuit en plein jour" le terrain n'est plus q'un vaste bourbier submergé. Le duel des buteurs Lacroix/Stransky se poursuit mais la deuxième mi-temps est française. Ntamack puis Galthié marquent deux essais refusés sans raison valable. En fin de match, mêlée sur les 22m sud-africains. Les français avancent. Galthié écarte sur Deylaud qui monte une chandelle dans l'orage de Durban. Saint-André à la réception dévie pour Benazzi qui arrive lancé. Le colosse échoue à quinze centimètres du paradis. Il raconte : "Sur mon action de la fin, je dois franchir dix fois sur dix, lancé comme j'étais, 115kg à fond avec ce ballon qui m'était retombé à hauteur de poitrine. J'aurais transpercé un bunker ! Ce n'est pas rationnel, tout ça... Ce jour-là, à la moindre chute, on glissait sur trois mètres. Et là, aucune glissade, je suis tombé sur Philippe Saint-André, il me restait à tendre les bras. J'ai vu la ligne réelle ou imaginaire, j'ai vu James Small repoussant le ballon de l'autre côté, j'ai dû avaler un litre d'eau." [2] Il restait quinze centimètres... "Deux minutes après, c'était fini."

Dans les dernières minutes, les bleus font encore le forcing avec deux mêlées introduction France à 5m de la ligne d'en-but Springbok. Toutes deux s'effondrent. L'arbitre ne bronche pas. Roumat : "Il nous a manqué les appuis pour les exploser. On avance d'un mètre cinquante et après on patine. La boue se met sous les crampons, t'as plus de prise, la deuxième flexion pousse dans le vide." [3] Il en reste une. Laurent Cabannes : "A cet endroit, le terrain, c'était Canton ! Les rizières ! Les marécages de l'enfer ! Là-dedans tu pousses pas, t'enfonces pas." [4] Alors Galthié écarte sur Lacroix qui perd le ballon sous la pression. Pierre-Michel Bonnot, reporter à l'Equipe, écrira le lendemain : "Il manqua [à l'équipe de France] un peu de lucidité quand elle entreprit de pousser trois mêlées sur la ligne springbok en s'imaginant qu'un arbitre, fût-il de la dimension de Derek Bevan, pouvait se permettre de siffler l'essai de pénalité litigieux contre l'équipe hôte de cette coupe du monde." Troisième mêlée à 5m, introduction Boks cette fois. La mêlée tourne, toujours pas de réaction de la part de l'arbitre. Stransky récupère et dégage son camp. Jean-Michel Gonzalez s'apprête à lancer en touche mais Mr. Bevan siffle la fin. 19-15. C'est fini. L'Histoire a gagné.

 

 

Vestiaire de défaite. Pas de bruit sinon les sanglots et les soupirs. Les larmes se mêlent à la pluie et viennent ternir un peu plus le maillot bleu frappé du coq. Olivier Margot est parmi eux : "Pendant tout ce temps, le silence qui dure, qui dure. Ils sont morts d'espoir, à la rigueur de fatigue, ils bougent à peine. Pas un bruit, pas une plainte non plus, pendant dix minutes, un quart d'heure peut-être. Ils ont les yeux rivés au sol, parfois ils les lèvent au ciel." [5] Tristesse, désillusion, injustice. 

Olivier Margot confirme que que trois mois plus tard, Pierre Berbizier retourne en Afrique du Sud et "apprend de Chris Rossouw qu'il avait bien talonné le ballon et qu'en conséquence, l'essai de Fabien Galthié aurait dû être accordé. Que, sur l'essai refusé à Emile Ntamack, pour en-avant, ce n'est pas l'ailier toulousain qui avait touché le ballon, mais l'arrière sud-africain André Joubert. Que l'essai du troisième ligne Ruben Krüger n'a jamais été aplati, le corps de Philippe Sella faisant obstacle. Vingt et un points de différence..." [6] 

 

[1] BERBIZIER Pierre, L'Equipe Magazine, 23 novembre 2013.

[2] BENAZZI Abdelatif, La grande histoire de la coupe du monde de rugby, Editions L'Equipe, octobre 2010. 

[3] ROUMAT Olivier, ibid.

[4] CABANNES Laurent, ibid.

[5] MARGOT Olivier, L'Equipe Sagan°4, 13 août 2011.

[6] MARGOT Olivier, La grande histoire de la coupe du monde de rugby, Editions l'Equipe, octobre 2010. 

Benazzi "Le hasard a voulu que je retrouve, aux Saracens à Londres, François Piennar. Il m'a dit : "Abdel, on s'excuse..." Il m'a avoué que l'essai de Krüger, à Durban, n'était pas valable. Il savait. Et il semblait un peu gêné. J'ai été son témoin de mariage. Et je suis le parrain de son fils. Plus tard, Nelson Mandela a accepté de préfacer mon autobiographie. Enfin, il y a eu le film de Clint Eastwood, Invictus". [2] Rien que du sport, vraiment ?

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