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France Nouvelle-Zélande, 33-0 en une demie-heure !

«Et l’on voudrait nous expliquer que tout cela n’est qu’un jeu, que le rugby peut se mettre en équation, que tout le bastringue était prémédité et que la reine d’Angleterre ne va pas en avaler son chapeau ? Mais ce meurtre parfait dans un jardin anglais, cet improbable triomphe du cœur et de la raison a fait passer une victoire 3-0 face au Brésil en finale de la coupe du monde de foot pour un aimable concours de circonstances, est si énorme, si totalement jubilatoire, qu’il faudrait être fou pour en tirer le moindre théorème».

Ainsi commence l’article de Pierre Michel Bonnot, journaliste à l’Equipe, ce 1er novembre 1999. La veille, l’impensable s’est  produit. Le XV de France a terrassé les Néo-Zélandais à Twickenham, en demi-finale de la coupe du monde de rugby. Dans la lignée des handballeurs en 1997, et des footballeurs en 1998, les rugbymen se qualifient pour la finale du mondial au terme d’une rencontre d’anthologie encore qualifié de « plus grand match de l’histoire du rugby ». Dans les grands exploits du XV de France en coupe du monde, il y a toujours les mêmes points communs : mauvais débuts de compétition, blessés, entraîneurs contestés, climat tendu en interne…et sublime réaction d’orgueil de ces hommes autant motivés par la peur du ridicule que par la détermination de refuser le destin que tous leur promettent et la volonté d’écrire leur propre histoire…

1999. La France a terminé dernière du tournoi des cinq nations avec trois défaites en quatre matches, six mois avant la Coupe du monde. Lors de la tournée de juin, les bleus perdent contre les Tonga et sont écrasés par les All Blacks à Wellington, 54-7. Malgré un début de Mondial  poussif, les français réussissent finalement à se qualifier pour les demi-finales, où les attendent la Nouvelle-Zélande. Vainqueurs du Tri-Nations, les All Blacks ont dominé les Anglais dans leur jardin de Twickenham lors des matchs de poule, ont passés un impressionnant 101-3 à l’Italie et ont écartés sans coup férir les écossais au tour précédent. Lancée vers le titre, la Nouvelle-Zélande fait à nouveau figure de référence suprême, et son entraîneur John Hart lâche en interview "Nous sommes trop forts pour être battus par les français". Orgueil, défi, enjeu. Tout ce dont ont besoin les joueurs du XV de France, bien seuls à croire en leurs chances. Olivier Brouzet, troisième-ligne, raconte : "On se sentait abandonnés de tous. Après notre début de coupe du monde complètement moisi, personne ne se demandait si on pouvait gagner. Tout le monde se demandait plutôt combien on allait prendre contre les futurs champions du monde." Mais c’est dans cette atmosphère particulière que les bleus vont écrire les prémices de leur révolte. "Après notre quart de finale contre l’Argentine, on avait fait une très grosse troisième mi-temps, improvisée. Je pense que tout le monde s’en souvient parce que c’est là  qu’on est devenus une vraie bande de potes et qu’on s’est dit qu’on pouvait faire un gros truc." intervient Lamaison. Son capitaine Ibanez  continue "Toute la semaine, j’ai dit aux joueurs qu’il fallait qu’ils se préparent à la guerre, puisque c’est le propre des All Blacks. Je leur ai répété ça tous les jours et si j’avais pu aller dormir avec chacun d’entre eux, je leur aurais encore dit en dormant."

Les bleus se présentent à Twickenham sans Thomas Castaignède, Philippe Carbonneau, Pierre Mignoni, Christian Califano et Thomas Liévremont, blessés ou suspendus. Fabien Pelous fait son retour, et le duo Galthié-Lamaison est titularisé à la charnière. Avant le début du mondial,  Galthié était exclu de la sélection tandis que Lamaison n’était que le troisième choix des entraîneurs à l’ouverture… Aux ailes, les deux poids-légers Bernat-Salles et Christophe Dominici vont se frotter à Tana Umaga et Jonah Lomu. Un sacré défi pour Bernat-Salles que d’avoir le colosse Tongien en vis-à-vis : "Je vais devoir lui sauter dessus et appeler mes partenaires à la rescousse car un seul homme est généralement insuffisant pour le faire tomber…"  Bientôt le haka résonne dans Twickenham. Ils y sont. Les blacks paraissent immenses, confiants. Richard Dourthe : "Il fallait trouver quelque chose. Je me suis dit que ce n’est pas possible, qu’on ne peut pas rester passifs. Alors, avec Olivier Magne, on tourne le dos aux Blacks et on commence à parler à nos mecs. On leur dit tout ce qu’il faut." Il se passe alors quelque chose de fort, un moment d’émotion. Ibanez confie : "Entre le haka et le coup d’envoi, nous avons chanté La Marseillaise. Comme quand les soldats vont au combat, ils chantent pour se donner du cœur. Et tout le monde a chanté, et tous connaissent les paroles. Je voulais trouver quelque chose qui ne soit pas forcé pour les resserrer. Là, on s’est retrouvés, soudés immédiatement. L’envie était de notre côté." Christophe Dominici continue : "On ne l’avait pas prévu mais, brusquement, on a ressenti le besoin de chanter La Marseillaise. On se regardait, on se tenait, on s’accrochait déjà à notre rêve."  "On se surprend à former un cercle, qui se resserre instinctivement sur nous, et une Marseillaise vient naturellement violenter nos poumons. Nous chantons, fort, à tue-tête, les yeux clos, les yeux en larmes" renchérit Marc Liévremont.

Trois minutes après le coup d’envoi, les Français tirent les premiers avec une pénalité de Titou Lamaison. "Je passe le premier but, se rappelle t-il. Il est vital. Nous ne voulons pas rester avec un zéro au score. Marquer, c’est se libérer." Mais Mehrtens enquille lui aussi deux buts qui font virer les hommes en noirs en tête. A la 20e minute, Christophe Dominici transperce le premier rideau néo-zélandais et navigue entre la défense avant de se faire reprendre à quelques mètres de l’en-but. Le soutien est là, et Galthié écarte sur Lamaison qui s’en va aplatir entre les poteaux. Avec la transformation, les bleus repassent devant 10-6. Les français font mieux que résister, et tiennent tête aux All Blacks. "Dans le déroulement de la demi-finale, Cédric Soulette et Marc Liévremont ont été déterminants, souligne Galthié. Parce que sur les premiers rucks, ils ont été tellement virulents que petit à petit les Blacks, et notamment Kronfeld, sont venus moins gratter nos ballons, et on a ralenti leurs sorties de balles." Même bousculés dans les regroupements, les Néo-Zélandais reprennent le contrôle du match, par une nouvelle pénalité de Mehrtens et un essai de Jonah Lomu qui résiste à 8 défenseurs français. Un quatrième but de l’ouvreur des blacks porte le score à 17-10 à la pause.

"En première mi-temps, nous avons produit peut-être notre meilleur rugby depuis le début du mondial." confiera Jonah Lomu. Byron Kelleher avoue cependant : "Clairement, on sous-estimait les bleus, on menait assez confortablement et à la mi-temps il régnait une sorte de contentement dans le vestiaire. On était relax. Trop."  Du côté bleu en effet, les certitudes sont là. Ugo Mola confirme : "Je suis remplaçant et, à la mi-temps, j’ai le sentiment de n’avoir rien à faire là. Les mecs sont comme électrisés, invulnérables." Ibanez ajoute : "Nous sommes encore dans le coup à la mi-temps à force de grands coups d’épaule et de beaucoup de cœur, et là c’est la magie du rugby qui s’opère, où chacun peut s’exprimer au service d’un mouvement collectif ".

Le début de deuxième période est cependant à l’avantage des Néo-Zélandais, et Jonah Lomu marque son huitième essai personnel dans ce mondial. 24-10. "Soit on plongeait, soit on décidait de se révolter" dira Ibanez. Deuxième option. "La deuxième mi-temps, ça a été le festival du french-flair, souffle Kelleher, nous sommes restés sans réponse, en état de choc." En dix minutes, les français recollent à deux points 24-22 avec deux drops et deux pénalités coup sur coup. "Comme tous mes camarades, je ressentais une sensation de bien-être, confie Lamaison. Nous n’avions pas de doute." "On lisait dans le regard des All Blacks qu’ils ne comprenaient plus rien, qu’ils étaient envahis par le doute, qu’ils n’étaient que des hommes, se rappelle Dominici. Et on se sentait forts, très forts." Une minute après, les avants récupèrent le ballon au sol. Sur la ligne médiane, Galthié joue au pied par-dessus. Christophe Dominici fait l’effort et court à la retombée. Le rebond est favorable, et l’ailier subtilise le ballon aux deux défenseurs néo-zélandais. Essai entre les poteaux. "Il y a des jours comme ça, où tu ne manques aucun placage, où les ballons d’arrivent comme des mots d’amour, où rien ne peut t’arriver, que du bonheur, que du bonheur !" Lamaison continue son 100% de réussite au pied, et les bleus repassent devant, 29-24. Les blacks sont incrédules, le public de Twickenham se frotte les yeux pour y croire.

Le XV de France ajoute deux nouveaux essais par Richard Dourthe et Philippe Bernat-Salles. On joue la 75e, et en trente minutes les bleus ont infligés un cinglant 33-0 à la meilleure équipe du monde. "On ne trouvait pas de solution, avouera Jonah Lomu. Il n’y avait rien à faire."  Les français sont souverains sur le terrain. Ibanez se souviens d’une réflexion de Marc Liévremont après l’un des derniers essais : "Les mecs, regardez-les ! Regardez-les dans les yeux ! Ils n’en veulent plus ! Ils ne savent plus où ils sont !"  Le troisième-ligne est remplacé peu après.  "J’assiste alors à un autre phénomène, jamais entendu. Je me trouve sur le bord du terrain, à cheval entre acteurs et spectateurs, et me viennent des vagues de notre hymne jusqu’aux oreilles. Le public anglais chante la Marseillaise à Twickenham ! On a tout emporté." Les joueurs français n’oublient pas leurs copains.  "Fabien Galthié a voulu que rentre Stéphane Castaignède et, moi, je suis sorti pour que joue Ugo Mola, expliquait Dominici après le match. On voulait partager. C’est le grand, le beau mot : partager ."

Un dernier essai de Jeff Wilson ne changera rien. 43-31. Sensation sur la planète rugby. Les Néo-Zélandais concèdent à la surprise générale la plus grande défaite de leur histoire, tandis que les français se qualifient pour leur deuxième finale mondiale. "C’était la folie dans les tribunes, raconte le capitaine Ibanez, les gens étaient tellement incrédules et enthousiasmés. Nous étions là, à profiter de l’instant."                                  

 72 000 spectateurs ont assistés à l’un des plus grands matches de rugby de l’histoire et à la victoire magnifique d’une équipe décidément imprévisible. « La revanche des Misérables » titrera même le lendemain le Daily Mail. Comment expliquer cette invraisemblable victoire, cette qualité de jeu, ce réalisme offensif soudain ? Ibanez confiera : "Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans la tête des joueurs. C’est peut-être tout simplement parce que nous sommes… Français."

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