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France-Australie, demi-finale de la coupe du monde 1987

"Entre l'Histoire et la Légende" titre L'Equipe ce dimanche 14 juin. La veille, l'impensable s'est produit : à 20 000 km de là, le XV de France a surclassé les Australiens en demi-finale de la première coupe du monde de rugby, déjouant tous les pronostics qui tenaient depuis longtemps une finale entre les Wallabies et les All Blacks comme acquise. "Il n'est évidemment pas question de rester raisonnable quand un bonheur pareil se présente. Il n'est pas question de mesurer ses mots quand on se sent si fier de l'équipe de France et du génie de l'Occident" écrit Denis Lalanne dans l'Equipe. Retour sur ce qui resta longtemps comme le plus beau match du XV de France.

 

 

 

En 1987, les instances du rugby international, sport encore amateur, organisent la première coupe du monde de l'histoire. La compétition n'a cependant pas encore pris sa dimension actuelle. Les organisateurs ne s'engagent pas sur la pérennité de l'événement, et on parle plus d'un "tournoi international". L'année 1987 est choisie pour éviter la concurrence du mondial de football au Mexique un an plus tôt et des Jeux Olympiques de Séoul en 1988. 

La France est alors une nation majeure du rugby européen : dans les années 80, les bleus remportent 6 victoires sur 10 tournois des V nations, dont un Grand Chelem juste avant de s'envoler pour la Nouvelle-Zélande. Les français ont même dominés les All Blacks en  1986 à Nantes, 16-3. Cependant le début de mondial est laborieux pour les hommes de l'entraîneur Jacques Fouroux. 

Pour leur premier match de poule, les français arrachent le match nul face à l'Ecosse. "Dans l'euphorie d'un Grand Chelem encore trop récent" [1], dira le capitaine Daniel Dubroca, les bleus sont menés 16-6 à une demi-heure de la fin. A la 79e, Blanco joue à la main une pénalité alors que les Ecossais se retournent vers leurs poteaux, persuadés que l'arrière va tenter sa chance au pied. Après 50m de course, Blanco aplatit entre les poteaux l'essai qui permet aux français d'éviter les Néo-Zélandais en quarts de finale. Une action incroyable comme premier fait d'armes dans la compétition pour le joueur du Biarritz Olympique. "Bien sûr que tout cela est invraisemblable. Mais c'est une Coupe du Monde, il faut innover" [1]. Les autres matchs de poule, 55-12 contre la Roumanie puis 70-12 face au Zimbabwe avec 30 points de Didier Camberabero, record mondial, ne peuvent masquer complètement les doutes français. Blanco et Sella sont incertains pour le quart de finale, et Bonneval est forfait pour le reste de la compétition.

Opposés aux Fidji pour le début des phases finales, les bleus frisent le ridicule malgré la victoire face à des joueurs décomplexés et dangereux jusqu'au bout. Frank Mesnel lâchera la phrase maintenant célèbre "On a défendu comme des portes de saloon !" tandis que Lalanne écrit dans L'Equipe "Si le ridicule tuait, le XV de France serait mort dimanche à Auckland", les français restant "ahuris, imbus de leur supériorité et de leurs sinistres résolutions tactiques". 

 

Ces dans ces circonstances que les bleus se présentent à Sydney pour y défier l'Australie qu'elle n'a battu qu'une fois dans son histoire, en 1961. Blanco confie : "Les journalistes se demandaient comment une telle équipe allait pouvoir battre l'Australie en demi-finale. On était vexés. Certains, comme Pierre Berbizier, étaient révoltés. Alors on s'est complétement renfermés par rapport à la presse. Et on est entrés dans une phase de préparation féroce. Sur le terrain d'entraînement, un truc immense, tout rond, où se disputaient des rencontres de football australien, les oppositions étaient d'une rare violence. On voulait se crever, c'était plus dur qu'en match. Pour plaquer, tu levais le mec et tu lui plantais la tête dans la terre. Jacques (Fouroux) avait mis un tel climat... On s'entraînait trois heures par jour, puis on partait se balader. On vivait bien en tant qu'équipe. Toute une génération arrivait ensemble à son apogée. La veille du match, on a joué au bowling jusqu'à une heure et demie du matin". [2] Une autre époque ! Les Australiens, eux, paraissent les seuls à pouvoir rivaliser avec l'ogre néo-zélandais et sortent auréolés d'une tournée en Grande-Bretagne durant laquelle ils n'ont subis aucune défaite et ont impressionnés les observateurs éuropéens. "Ces wallabies font peur parce qu'ils sont grands, parce qu'ils sont forts, et parce qu'ils sont bons !" s'emporte Pierre Slaviac, commentateur sur ESPN, lors de l'entrée des joueurs. 

FRANCE : Blanco - Camberabero,  Sella,  Charvet, Lagisquet- (o) Mesnel - (m) Berbizier - Erbani,  Rodriguez,  Champ - Condom,  Lorieux - Garuet ,  Dubroca (cap),  Ondarts 

 

Les français ne sont effectivement pas là pour faire de la figuration, et leur détermination est flagrante dès les hymnes : quand la Marseillaise résonne dans le champêtre Concord Oval, les français se tiennent en cercle, épaule contre épaule, leurs têtes baissées les unes contre les autres.

Mais rapidement, les Australiens prennent l'avantage du terrain grâce au jeu au pied d'occupation de l'arrière Campese et du demi d'ouverture Lynagh.  Celui-ci ouvre d'ailleurs le score d'un drop à la 3e minute avant de porter le score à 6-0 quelques minutes plus tard sur une pénalité à 25m.  

 

 

"Nous avions une envie féroce de pousser plus fort qu'eux, de sauter plus haut, de leur rentrer dedans" [1] confie Dubroca. Les bleus se montrent d'entréet agressifs et supérieurs sur les phases de conquête : après une mêlée introduction australienne et récupérée par les français, Blanco trouve la touche. Erbani intercepte le lancer des Aussies, s'arrache du maul et plonge dans l'en-but. L'arbitre écossais M. Anderson n'accorde cependant pas l'essai et revient à une pénalité pour un hors-jeu australien. Alors que Didier Camberabero manque son coup de pied, Slaviac s'époumonne dans son micro "faute de M. Anderson ! Faute grave !". 

"Pendant que les français emballent le match, les australiens cumulent les temps morts" continue-il plus tard alors que le 2e ligne Campbell est contraint de sortir sur blessure. L'intensité et le jeu sont en effet du côté français mais la réussite fuit les partenaires de Dubroca. Après un nouveau drop contré de Lynagh, les français partent en contre et poussent leurs adversaires à la faute. Mais la pénalité de Camberabero passe une nouvelle fois à côté. Peu après Lynagh ne manque pas l'occasion d'ajouter trois nouveaux points sur une pénalité depuis son propre camp, portant le score à 9-0 et devenant ainsi le recordman de points sous le maillot vert et or. 

A 3 minutes de la mi-temps, les français sont pénalisés au sol et Lynagh a l'opportunité de donner 12 points d'avance à son équipe. Mais le buteur australien échoue et les bleus recollent au score sur l'action suivante. Sur une action d'école de la ligne de trois-quarts français, Camberabero est projeté en touche à un mètre de l'en-but australien. La touche est gagnée par les Aussie, puis arrachée par l'immense Lorieux qui marque en coin. Sur les 22m en bord de touche, Cambé règle enfin la mire et d'un possible 12-0, la France rentre aux vestiaires sur un score de 9 à 6 (l'essai valant alors 4 points). 

 

Galvanisés par l'essai de Lorieux, les bleus reviennent sur le terrain avec les meilleures intentions et marquent sur leur premier temps fort : touche française sur la ligne médiane. Après une première fixation, Mesnel croise avec Charvet qui percute. La balle est perdue puis regagnée au sol, Berbizier feinte la passe et s'infiltre. Lorieux ramasse, charge et progresse jusqu'aux 22m. Berbizier écarte alors sur Mesnel qui transmet à Sella. Le numéro 13 a le soutien de Cambé à l'aile mais revient intérieur pour laisser deux australiens sur place, rentre sa course, échappe aux derniers défenseurs et marque entre les poteaux. 12-9 avec la transformation, les français sont devant au score pour la première fois du match.  

 

Commence alors un incroyable chassé-croisé entre les deux équipes dans une emballante griserie de jeu et d'initiative. Les australiens réagissent de suite. A la sortie d'un maul, Lynagh feinte la passe, crochète Mesnel puis Berbizier. Face à Blanco, le demi d'ouverture écarte sur Grigg qui, plaqué par Lagisquet, parvient dans sa chute à remettre sur Campese à hauteur. L'arrière marque ainsi son 25e essai international, record du monde, et l'Australie repasse en tête 15-12. "Que le match est beau, qu'il est ouvert et indécis !" s'extasie Slaviac. 

Les Aussies sont proches du break mais quelques minutes après avoir vu sa tentative de drop contrée, Lynagh manque l'immanquable sur une pénalité facile des 22m face aux poteaux. Peu après, sur un nouveau ballon arraché par Lorieux, Berbizier joue vite et passe à Charvet petit côté. Le centre fixe et donne à Blanco qui a le soutien de Lagisquet à face à trois défenseurs australiens. Après un crochet intérieur pour éliminer le premier, l'arrière fixe les deux derniers et parvient à passer après contact à Lagisquet qui déborde et va à l'essai ! "Quoi qu'il arrive maintenant cette demi-finale de coupe du monde est réussie" déclare Slaviac alors que Cambé transforme et porte le score à 18-15 pour les bleus. L'ailier ajoute même trois points supplémentaires peu après sur une pénalité face aux poteaux pour un hors-jeu australien.

 

A un quart d'heure de la fin, les Aussies reviennent au score après avoir multiplié les temps de jeu dans le camp français. Sur une touche à 5m de l'en-but français, Cutler dévie pour Coker qui commet un en-avant. L'arbitre ne le voit pas, et Codey marque le deuxième essai australien au milieu des contestations des bleus. "C'est un hold-up !" répètent les commentateurs alors que Lynagh imperturbable égalise à 21-21. 

La fin de match est tendue et donne lieu à de longues séquences d'échanges de coups de pied pour chercher les touches et gagner du terrain, aucune équipe ne voulant risquer de se découvrir. Après un premier drop de Mesnel qui passe à côté, ce sont bien les français qui vont craquer les premiers : sur un long dégagement de Campese, Blanco récupère le ballon. L'arrière, pressé par deux australiens, ne tape pas en touche et prend le risque de relancer. Les montées défensives des australiens mettent les bleus sous pression et ceux-ci finissent par être pénalisés au sol. A 2 minutes de la fin, Lynagh donne l'avantage à son équipe, 24-21.

 

On joue la dernière minute du temps réglementaire et le XV de France joue sa dernière munition sur une touche dans le camp australien. Le lancement de jeu est propre et la balle arrive jusqu'à Camberabero qui tape au pied mais se fait plaquer sans ballon. Impeccable sous la pression, Cambé refroidit les spectateurs du Concord Oval de Sydney en égalisant à 24-24 dans les dernières secondes.

A l'époque les matchs ne se terminait pas à la 80e, un temps additionnel étant laissé à l'appréciation de l'arbitre. Sur une touche australienne sur la ligne des 22m français, les bleus montent en pointe pour empêcher Lynagh d'ajuster le drop. La défense agressive des tricolores récupère le ballon au sol. La suite ? Blanco : "Oui, je peux le raconter cet essai, non pas parce que je l'ai revu très souvent, mais parce qu'il est gravé en moi depuis ce jour-là. Il part d'une mêlée fermée. A la sortie, Pierre (Berbizier) me donne le ballon, je l'envoie à Patrice (Lagisquet) qui le récupère après un rebond, comme au basket, et qui tape loin. A la réception, il y a Campese mais aussi et surtout un plaquage de Lorieux, énorme. Pascal (Ondarts)  ramasse le ballon et, sur un pas, il sert Rodriguez qui lance Charvet. Cadrage-débordement, et il renverse vers Berbize qui retrouve Patrice d'une passe sautée. Crochet intérieur, le ballon roule jusqu'à Rodriguez qui le ramasse et me le donne. L'arrière, coupable quelques minutes d'une faute grossière qui avait permis aux australiens de passer devant, continue  : "Pendant une dizaine de secondes, j'ai connu un profond moment de solitude. Mais, à la limite, c'est peut-être pour cela que sur le dernier essai je me trouve là où je suis. Je désirai tant me racheter, je voulais tant que les 25 copains qui m'accompagnent ne s'arrêtent pas à cause de moi". [2] Blanco, complètement arrêté quand il reçoit le ballo, redresse sa course et plonge vers le coin de la ligne d'essai. 15 mètres de course vers le paradis, vers l'Eden Park d'Auckland, vers la finale de la première coupe du monde. 

On joue alors la sixième et dernière minute du temps additionnel et Slaviac exulte dans son micro. "C'est formidable, c'est historique !" Dans les bras l'un de l'autre, Blanco et Berbizier voient Camberabero parachever le succès bleu en passant la transformation complétement en coin. 30 à 24, la qualification de la France pour la finale est fêtée par les supporters qui envahissent le terrain et se mêlent aux joueurs avec drapeaux et banderoles.

 

 

Quelques jours après, le XV de France échoue contre les Néo-Zélandais dans sa conquête du titre mondial. Mais le pays du rugby reconnaît la valeur de ces français venus du bout du monde, et cette année là, sept joueurs tricolores figurent dans le Quinze Mondial de The Sunday Times of Auckland : Sella, Lagisquet, Berbizier, Rodriguez, Lorieux, Garuet et Dubroca. Le lendemain de la finale, les joueurs All Black viennent à l'hôtel des français avec leurs femmes et enfants. Adversaires la veille sur le terrain pour un titre mondial, français et néo-zélandais se retrouvent pour un repas improvisé sur la plage. "Cela ressemblait à un grand dimanche en famille raconte Blanco. Sur la plage, on formait de petits groupes, vainqueurs et vaincus mêlés, on parlait de nos vies, on s'ouvrait les uns aux autres. Y-a-t-il quelque chose de plus important que ça ? " [2]

Une autre époque, on vous dit ! Entre l'histoire et la légende...

[1] L'Equipe Saga n°4, Quinze de France, une histoire d'homes, 13 août 2011.

[2] BLANCO Serge, La grande histoire de la coupe du monde de rugby, Editions L'Equipe, octobre 2010.

Ce succès historique est le premier d'une longue série d'exploits français en coupe du monde. Comme dans tous matchs de rugby, la victoire s'est d'abord forgée dans le combat, l'affrontement et l'abattage phénoménal du pack tricolore. Blanco : "Parfois, sur un terrain, quand tu croises l'autre, l'adversaire, il y a une force physique palpable qui se dégage et tu te dis : "Ca va être dur..." Cette fois là, l'autre, c'était nous". [2] L'arrière a réussi avec toute l'équipe de France à faire taire les pronostics - "Maintenant ils nous prennent au sérieux. Parce qu'on les a battus. On est tranquille pour une semaine, on peut faire ce qu'on veut, on est les rois..." [1] -  et à rectifier certaines évidences : "Celle par exemple qui affirmait que le rugby de l'hémisphère Sud avait définitivement pris le pas. C'était peut-être oublier que dans le Nord, il y a la France. Ils ont bonne mine ceux qui avaient tout prévu pour que la finale oppose l'Australie aux Blacks... "

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