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France-Allemagne, demi-finale de la coupe du monde 1982

Les voix de Thierry Rolland et Jean-Michel Larqué résonnent encore dans la nuit."C’est la fin d’un match et c’est le début d’une légende"* dira Michel Platini. "C’était plus que du foot"*, pour Karl-Heinz Rummenigge. Qui mieux que les acteurs pour raconter ce sommet de jeu et d’émotions ? Car ce France-Allemagne est bien le match le plus chargé d’émotions du football français. Une dramaturgie inoubliable, un suspense haletant et une rencontre historique rentrée au Panthéon de son sport. C’est également la fin cruelle d’une belle aventure collective, ainsi qu’un acte fondateur sans lequel les bleus n’auraient peut-être pas été champions d’Europe deux ans plus tard. Mais sur le coup, ni satisfaction d’avoir bousculé la grande Allemagne, ni conscience d’être entrés sans l’Histoire. Seulement des larmes de frustration, d’injustice, de tristesse… Une désillusion à la hauteur du rêve bleu et des espoirs dorés qui agitaient la France entière ce 8 juillet 1982.
 

 

Battiston devance la sortie du gardien allemand et frappe vers le but vide. A côté ! Tous ou presque ont suivis des yeux le ballon et n’ont pas vu le choc entre les deux joueurs. Sans chercher à stopper son élan ou à jouer le ballon, Schumarer a percuté violemment de la hanche  la mâchoire de Battiston. Celui-ci gît au sol, inanimé, sa main gauche oscillant quelques temps en l’air avant de retomber. C’est le fameux « attentat » qui fera tant parler. M. Corver n’accorde pas de penalty pas plus qu'il ne sanctionne le gardien allemand. Sur le terrain et sur le banc, les français explosent. Un attroupement s’est formé autour du joueur toujours étendu sans connaissance. Les français sont incrédules devant cette injustice et au micro, Thierry Rolland et Jean-Michel Larqué s’emportent : "C’est pas vrai qu’on laisse des récidivistes impunis, honte à vous M. Corver !"

Inconscient, Battiston est finalement évacué sur civière. Platini, le dos voûté, lui tient la main et l’accompagne jusqu'au bord du terrain. "J'ai eu peur. J’ai eu peur, et pourtant il faut continuer"* dira le capitaine des bleus. Continuer à se battre, à aller décrocher une finale mondiale pour le copain.  

Le jeu reprend, Schumarer se fait huer à chaque touche de balle. Le stade, lui, est bleu. "Cette agression nous a surmotivés. Avant, nous étions onze. Après, nous sommes cinquante millions"* confiera Ettori. "Il y avait un degré d’énervement de tout le monde…et de la haine !"* témoigne Platini. Les occasions s’enchaînent mais les bleus ne trouvent pas l’ouverture, tout comme les allemands qui inquiètent Ettori sur quelques contres. "Il ne faut pas être cardiaque" prévient Thierry Rolland. Deux minutes avant la fin du temps réglementaire, le jeune Amoros récupère le ballon et décoche une frappe soudaine du droit. La balle s’écrase sur la transversale, avant d’être récupérée par Rocheteau qui frappe, au dessus. "Mais c’est pas vrai !" gémit Thierry Roland. Les deux équipes sont en prolongations, ce que redoute Michel Platini : "Avec l’expérience, tu sens que ça va être dur de gagner. Tu as tout contre toi"*.



La chaleur est étouffante : 33 C°. La fatigue se fait sentir dans les organismes et même le sélectionneur Michel Hidalgo masse Marius Trésor. Trois minutes après la reprise, ce dernier reprend un coup-franc de Giresse d'une magnifique reprise de volée en déséquilibre qui file sous la barre de Schumarer.  A 2-1, la meilleure attaque de la compétition se refuse à fermer le jeu et à la 98e, Didier Six passe en retrait à Alain Giresse qui marque à l’entrée de la surface avec l’aide du poteau. Heureux comme un gosse, le capitaine de Bordeaux explose de joie et entame une longue course sur le terrain. Gérard Soler : "Dans ses yeux, on voyait tout le bonheur du monde. Il avait atteint son Graal. Sa vie aurait pu s’arrêter là. Ce visage d’ange, c’est très fort."*

A 3-1 contre la grande Allemagne, les bleus, qui ne sont pas programmés pour aller aussi loin, ne parviennent pas à gérer. Karl-Heinz Rummenigge, déclaré non-apte par le staff médical avant le match, ramène le score à 3-2. Et à la 108e, Klaus Fischer égalise d’un retourné acrobatique. Pour la première fois de l’histoire, un match de coupe du monde va se jouer sur la séance de tirs aux buts.

 

Les bleus ont du mal à trouver cinq tireurs: "Personne ne veut y aller"* confirme Platini. Il faut pourtant jouer jusqu’au bout cette pièce au suspense insoutenable. Ça passe pour Giresse, Amoros et Rocheteau. Ettori repousse une tentative allemande mais les penaltys de Didier Six, joueur de Stuttgart, n’ont plus de secret pour Schumarer qui annule l’avantage tricolore. Platini et Rummenigge ne tremblent pas, et à 4-4, place à ceux qui ne voulaient pas tirer. L'immense Maxime Bossis, auteur d’un match exceptionnel, échoue. "Je n’en ai plus jamais tiré un seul de ma vie entière."* Hrubesch trompe un Ettori partit trop tôt et met fin aux rêves de l'équipe de France.

René Girard : "Des vestiaires de vaincus, j’en ai vus dans ma carrière, mais comme celui-là…Ce qui frappe c’est le silence, l’abattement. Tu vois tes potes et tes gestes de réconfort, tes mots paraissent dérisoires. Certains craquent, pleurent. Tu chiales aussi parce que c'est dur, inhumain..."* Platini continue : "On a tous craqué, on a pleuré… On n’a pas pleuré parce qu’on a perdu, on a pleuré parce qu'on a craqué complétement."*  

 

 

Avec le recul, Platini voit maintenant les choses différemment: 

"Le plus beau livre que j’aurais à lire, la plus belle pièce de théâtre à laquelle je pourrais assister, le plus beau film que je pourrais voir, c’est ce match là. Séville, c’est le tournant de beaucoup de choses. Avant, on était sympas, libres…amateurs. Après Séville, on est devenus plus conscients de nos responsabilités et de nos possibilités. Séville, le dernier match libre. C’était le dernier match de l’insouciance, de la liberté tactique, où l’on jouait, quoi ! Je pense que c’est le dernier match de l’équipe de France insouciante. Mais toute la légende, tout le mythe, vient du fait qu’on a perdu." 

 

                                                          
 

Il s'agit pour les bleus de Platini de la première demi-finale de coupe du monde depuis 1958. En face se dresse la République Fédérale Allemande, vice-championne du monde et championne d’Europe en titre,qui n’a pas perdue contre une équipe européenne depuis 4 ans. Bernard Genghini souligne d'ailleurs que "face à l’Allemagne, la France faisait un petit complexe"*. Mais c’est dans cette position d’outsider que les bleus se sentent le mieux :"Cette demi-finale, c’était du bonus"* soutient ainsi Platini. Les allemands craignent cependant le football technique des tricolores. "Nous étions admiratifs des milieux de terrains français. Sans oublier Marius Trésor en défense. Quel joueur, quelle présence ! C’était un honneur d’affronter une telle équipe !"* dixit Hrubesch. "Platini, Giresse, Tigana… de vrais artistes du ballon"*, renchérit Kaltz.

Trésor, Ettori, Janvion, Amoros, Bossis, Tigana

Six, Genghini, Giresse, Platini, Rocheteau

C’est donc un match de gala que l’arbitre néerlandais M. Corver dirige au stade Sanchez-Pizjuan de Séville. Les français sont de suite fébriles tandis que les allemands prennent l’initiative. Littbarski trouve rapidement la barre de Jean-Luc Ettori sur coup-franc avant de marquer à la 18e minute entre les jambes du gardien monégasque. Ce but a le mérite de réveiller les bleus qui n’ont d’autre choix que d’attaquer. Sur un coup franc joué astucieusement par Giresse, Platini remet de la tête à Rocheteau qui se fait ceinturer dans la surface. Le penalty est indiscutable et le capitaine des bleus ramène les deux équipes à égalité en prenant Harald Schumarer à contre-pied. Le match s’équilibre et les deux équipes continuent de proposer un football offensif, d’une grande qualité technique. Le carré magique français du milieu de terrain trouve facilement des espaces, mais en face Schumarer veille tout en s’accrochant régulièrement avec les attaquants français. De l’autre côté, Fischer, Magath, Littbarski et Breitner combinent bien mais la défense d'Ettori se montre vigilante, à l'image d'un Maxime Bossis intraitable.

 

Alors qu'au retour des vestiaires les bleus accentuent leur main mise sur le match, la sortie prématurée de Genghini après à peine 5 minutes de jeu va déstabiliser l'organisation offensive tricolore. Son remplaçant Patrick Battiston se montre de suite disponible, et sept minutes après sa rentrée un superbe ballon en profondeur de Platini l’envoie seul au but face à Schumarer. C’est la fameuse action de la 56e, celle qui va faire basculer la rencontre dans une dimension tragique.

* FRANCE FOOTBALL n°3456 BIS, La Légende de Séville, 6 juillet 2012.

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