Défense et illustration de l'épopée sportive
Championnat d'Europe 1984 : à jamais les premiers
Deux ans après l'échec traumatisant de Séville et l'élimination en demi-finale de la Coupe du monde par les allemands, l'équipe de France est arrivée à maturité au moment de disputer ce championnat d'Europe à domicile. Les bleus sont emmenés une nouvelle fois par Michel Platini, champion d'Italie avec la Juve et meilleur buteur du Calcion, en route vers son deuxième Ballon d'Or consécutif. Celui qui est devenu le meilleur joueur du monde doit persuader ses partenaires que l'exploit est possible : « L'Euro 84, on y va en sachant qu'on peut gagner. En tout cas, moi je sais qu'on peut gagner. J'ai l'expérience internationale, je connais nos adversaires, les grands joueurs et les grandes équipes. Il faut que je mette ça dans la tête de tout le monde : on peut gagner. Et surtout on DOIT gagner. C'est une génération qui arrive en fin de parcours, ils savent au fond d'eux que c'est le moment d'y aller, ils sentent qu'ils resteront dans les livres, ou pas, mais que ça va se jouer ici et maintenant. » [*]
Michel Hidalgo se souvient de l'atmosphère qui entoure les bleus au début de ce mois de mai 1984. « Cet Euro chez nous, c'était l'idée de se retrouver pour gagner un titre. Il fallait que ce soit un événement : le premier trophée dans l'histoire du football français. Cette envie existait : être tous ensemble pour réaliser cette première. La même attente animait toute la population. Nous étions au pied du mur pour que la France ne soit plus la championne du monde des matches amicaux et des défaites honorables. » [*]
La France commence son aventure contre les danois au Parc des Princes. La rencontre est tendue entre le Danemark qui fait à l'époque partie des toutes meilleures nations au monde et qui ne cédera qu'en demi-finale de cette Euro au tirs au but contre l'Espagne, et les bleus qui doivent absolument l'emporter pour bien se lancer dans la compétition. La France joue toujours aussi bien, sans trouver l'ouverture. Mais après avoir connu Séville et le Calcio, Platini est devenu un formidable gagneur : « [Michel Hidalgo] avait une façon très romantique de concevoir le jeu. Presque idéologique. Et moi, là-dedans, j'essayais d'être pragmatique dans le romantisme. J'avais cette culture acquise en travaillant avec Trapattoni. » [*] A un quart d'heure de la fin, le capitaine des bleus reprend un ballon contré à l'entrée de la surface et délivre son équipe.
Après ce début crispant, la France reçoit la Belgique, finaliste du dernier Euro, à la Beaujoire à Nantes. Alain Giresse témoigne : « C'est le match parfait où quand vous dites « je fais un match de foot », voilà ce qu'on recherche. C'est à dire que tout est simple, tout est facile, il y a du plaisir, il y a du jeu... » Pourtant, avec la suspension d'Amoros et la blessure d'Yvon le Roux, Michel Hidalgo doit innover pour bâtir son onze de départ. Platini : « Pas un joueur n'évolue dans son registre ! Bossis et Battiston jouaient dans l'axe, Fernandez arrière droit, Domergue à gauche, c'était un libero. Au milieu Genghini, Tigana, Giresse et Platini, ça te fait quatre 10 – même si Jean l'était un peu moins. Devant, Six et Lacombe décrochaient et permutaient avec les milieux de terrain... C'était comme le grand Ajax, à ceci près que le football total de l'équipe de France n'était pas le total physique mais le total technique. » [*]
Du football total en effet et un des matches les plus aboutis des bleus : Platini ouvre le score dès la 4e minute, Giresse double la mise d'un petit ballon piqué une demi-heure plus tard et avant la pause Luis Fernandez plante un troisième but. En seconde période, Michel Platini signe un triplé pour une victoire 5 à 0 qui qualifie la France pour les demi-finales.
Pour son dernier match, la France doit valider la première place de son groupe contre la Yougoslavie. Platini retourne à Saint-Étienne, dont il a défendu les couleurs jusqu'en 1982. Une anecdote revient d'ailleurs à Bernard Lacombe à ce sujet : « Coup franc pour nous face au but de Simovic. Michel décale discrètement le ballon de quelques centimètres. Susic le voit et lui lance : « Hé, qu'est-ce que tu fous? » Platini lui répond : « Je fais ce que je veux ici, je suis chez moi ! » [*]
Mais Michel Hidalgo procède à plusieurs changements pour donner du temps de jeu à ses remplaçants. Joël Bats encaisse son premier but depuis 664 minutes et la France est menée à la mi-temps. Platini réalise alors un coup du chapeau parfait en vingt minutes, du pied gauche, de la tête et du pied droit sur coup franc. Une victoire 3-2 et un rendez-vous avec le Portugal en demi-finale.
Un match héroïque dans l'ambiance d'un stade Vélodrome survolté ! En première période, Jean-François Domergue, titulaire depuis la suspension d'Amoros, inscrit le premier but des bleus sur coup franc. Mais les portugais égalisent puis prennent l'avantage en début des prolongations grâce à un doublé de Jordao. Le héros du jour Jean-François Domergue finit par égaliser à la 115e, s'offrant ainsi un joli cadeau le jour de ses 27 ans. Les bleus l'emportent même à une minute du terme sur le 8e but de la compétition de Michel Platini. Un but qui a une saveur particulière pour le capitaine tricolore : « Ce but montre à quel point notre équipe était libre. C'est notre intelligence collective qui est récompensée par ce but, c'est notre expression d'équipe qui est merveilleuse, bien plus que la façon dont je termine l'action. On sait sans se voir ce qu'il faut faire, intellectuellement on est sur la même longueur d'onde, affectivement aussi nous sommes en phase. On était dans le jeu et dans la liberté. Dans l'intelligence et la complicité. Complémentaires et solidaires. C'était ça notre registre : l'équilibre et la folie. L'improvisation qui devient la plus belle des organisations. » [*]
La finale se déroule à Paris le 27 juin 1984. Les français sont à un match de remporter le premier titre de leur histoire mais l'Espagne tient tête aux bleus. Battiston sauve même sur sa ligne une tête espagnole alors que Bats était battu. La délivrance se fait à la 57e sur ce fameux coup-franc passé à la postérité sous le nom « d'Arconada » pour qualifier cette faute de main du pourtant excellent gardien espagnol. Tentative d'explication de son homologue, Joël Bats : « Le souci avec Platini, c'est qu'on s'attendait toujours au pire, et quand ce n'était pas le pire qui arrivait, on pouvait se laisser surprendre. On imaginait un ballon dans la lucarne. Un ballon au-dessus du mur. Et là, Michel a frappé le ballon du côté où se trouvait Arconada, avec un rebond en plus. Et ça, Luis ne s'y attendait pas. Il s'est donc organisé au dernier moment. Et là, le geste n'est pas totalement approprié parce qu'il a un moment de retard. Il n'a pas pu placer son corps derrière le ballon. » [*]
Un dernier but de Bruno Bellone dans les arrêts de jeu scelle le score. La France tient son premier trophée majeur dans « son » championnat d'Europe. Une consécration pour cette bande de copains dont le plaisir d'évoluer ensemble est symbolisé par cette anecdote : à dix minutes de la fin, Patrick Battiston simule une blessure et demande à être remplacé. Il confie : « En cours de match, je me suis dit que Manu, qui avait été expulsé lors du premier match, puis suspendu, méritait de connaître une finale. » [*] Entrée d'Amoros, donc, suspendu depuis le premier match contre le Danemark. Un geste fou, heureusement sans conséquence malgré l'expulsion à la 85e d'Yvon le Roux alors que le score était toujours de 1-0. Michel Hidalgo y voit là quelque chose de fort : « Battiston, ce qu'il a fait là c'est extraordinaire. Plutôt que d'être sur le terrain, vainqueur, champion d'Europe sur le terrain, il laisse sa place à Manu. Je crois que là, sur le plan de l'esprit d'équipe, ça veut tout dire. »
Amoros, Le Roux, Battiston, Bossis, Bats, Fernandez -
Bellone, Lacombe, Giresse, Platini, Tigana
[*] L'Equipe Magazine, numéro 1667, 28 juin 2014.